J’ai mis sur pied en 2013 une agence de « street-casting » de mannequins centrée sur la représentation des mannequins de couleur. J’ai fondé cette agence motivée à faire respecter les mannequins de couleur dans le milieu de la mode, et aujourd’hui, en 2019, je le regrette en quelque sorte.
Notre intention en tant qu’agence était de répondre à un manque dans le milieu du mannequinat, où nous voyions que des changements étaient nécessaires. Nous étions seulement intéressés aux mannequins et à la place qu’ils occupaient, et à ce que ça signifiait d’avoir une distribution complètement caucasienne ou de mannequins conventionnels. Nous ressentions vraiment que la représentation était une grosse affaire, et aujourd’hui les gens semblent encore parler d’à quel point elle est émouvante et importante. Et même si mes sentiments à propos de la signification de la représentation ont changé, je continue de penser que quoi qu’il en soit, elle est importante et qu’elle change les connaissances à propos des groupes marginalisés, et que par-dessus tout elle est une manière d’établir un pouvoir. Mais je crois que ce qui est devenu encore plus important, c’est que la représentation n’est simplement pas assez.
J’ai fondé l’agence en 2013. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à demander à des amis de m’aider pour ce projet, à trouver des mannequins et à faire des photos. L’idée est venue à une amie et moi après de longues conversations qui nous laissaient pas mal découragées des industries de la mode et de l’art, en grande partie à cause du manque de diversité et du peu d’opportunités pour les créatifs de couleur. Et plutôt que d’attendre que ces industries nous fassent une place, nous n’avons pas vraiment eu d’autres choix que de nous tailler une place nous-mêmes. Les gens aiment voir ça comme un grand geste héroïque, mais en réalité, nous n’avions pas vraiment le choix, du moins si nous voulions avoir une carrière dans la création. Au cours des trois premières années de l’agence, je me familiarisais encore avec les rouages de la gestion d’une entreprise de mode. C’est durant notre troisième année que nous avons commencé à recevoir des demandes de travail sur la réalisation de casting, et étant donné la nature de notre style d’exploration, nous offrions une toute nouvelle approche au casting. C’est là que j’ai commencé à prendre des décisions de création de campagnes et c’est probablement à peu près durant ce temps-là aussi que j’ai commencé à moins croire à l’importance de la représentation. J’ai reçu une tonne d’offres de toutes sortes de marques qui avaient une réputation entachée à cause de commentaires désobligeants à propos d’un groupe d’identités marginalisées, le tout pour suivre un genre de courant de « justice sociale » pour redorer leur image. Mais en même temps, ces marques ne voulaient pas vraiment être associées à rien de trop politique, de trop anti statu quo, parce que ça aurait dérangé leur clientèle conservatrice, qui pousse activement les gens marginalisés dans des groupes marginalisés et les éloigne davantage.
Même si voir ces histoires de gens de toutes les identités partagées sur les différentes grandes plateformes donne l’effet d’un changement de paradigme, j’ai vraiment dû entamer une réflexion : mais qui a le contrôle sur le partage de ces histoires? Très souvent, on voit des histoires des minorités, produites et financées par le même genre de personnes qui sont responsables de ce statu quo. Et bien souvent, ces histoires qui sont filtrées d’un œil cisgenre blanc valide ne représentent pas les expériences nuancées de ceux qui se situent en périphérie, mais existent plutôt en tant que version renouvelée des mêmes intentions capitalistes qui ont toujours existé.
Alors ce qui au départ était pour moi de voir dans le milieu de la mode des gens qui me ressemblent et qui ressemblent aux personnes de ma communauté, s’est vite transformé en une critique de la manière dont les personnes de couleur sont soigneusement placées dans ces industries. Ce qui à l’époque semblait être une insertion dans ce pouvoir nous fait maintenant voir de plus en plus clairement que le système n’a jamais été conçu avec nous en tête. Il ne sait certainement pas comment nous soutenir, et nous étions sûrement naïfs de penser que nous pouvions en changer certains aspects. La manière dont l’activisme a été adopté par le milieu de la mode comme manière attrayante et tendance de commercialiser des biens de consommation, tout en n’embauchant jamais de designer de couleur, en payant ses travailleurs du vêtement moins que le salaire minimum, en produisant tellement de toxines à partir des tissus utilisés pour confectionner les vêtements que des dommages irréparables sont causés aux communautés de couleur qui fabriquent ces tissus et à l’environnement (qui aura un impact disproportionné sur les communautés de couleur en premier, ce que nous savons parce que c’est déjà en train de se passer). Alors oui, si on considère tout ça, on sent vraiment que la représentation est d’une importance marginale dans la hiérarchie des problèmes dans le milieu de la mode. Mais s’il y a une chose en laquelle j’ai confiance, c’est que si nous avons encore ces occasions d’avoir des conversations à propos du mannequinat et de la diversité, le manque de sensibilisation raciale dans les images se fera sans aucun doute ressentir dans toutes les facettes de la production des vêtements. Je crois que dans le processus de création de l’agence, en attirant plus d’attention sur l’iniquité raciale dans le milieu de la mode, nous avons ouvert les gens et une industrie à avoir des conversations plus difficiles à propos du rôle que les personnes marginalisées jouent dans cette industrie. Même si la représentation n’est pas le sujet le plus important, pour certains, elle a été le point d’entrée pour faire changer les façons de penser.